Efji
Efji – le malentendu des percussions par Didier Lamare
Une pièce soliste pour percussions multiples ? On s’attend au fracas – l’image sonore qui m’en demeurait après l’avoir entendue au concert était d’ailleurs celle d’une tempête crépitante. Percussions : les mots portent en eux une charge parfois mensongère, déconnectée de la réalité physique de la chose, et c’est bien pourquoi la musique s’en méfie comme la peinture redoute le vernis au goudron. Car Efji – l’acronyme des initiales de son interprète dédicataire – est une œuvre d’énergie striant le silence, une symphonie suave, une musique des sphères contemporaine où des particules de vitesse et de masses différentes tournoient, s’accélèrent, collisionnent, dans l’infini d’une réverbération. Une folie vertigineuse aussi réunissant un compositeur et un interprète complices de longue date, l’un entraînant l’autre, aller-retour, vers une mission sonore presque impossible à réaliser sur scène à l’échelle souhaitée et qui trouve dans cet enregistrement son accomplissement. Une folie douce qui nous fait réexaminer tout ce que l’on croyait savoir sur les percussions.
Cela commence avec la passion de Florent Jodelet pour les « idiophones », ces instruments extra-européens qu’il rapporte de ses voyages et dont il développe avec un souci de luthier l’adaptation aux contraintes de la musique occidentale. « Le matériau sonore généré par les idiophones est tellement singulier, évocateur, porteur d’idées musicales, qu’ayant devant moi une paire de maracas l’envie me prend de les multiplier, de jouer avec les hauteurs et les grains jusqu’à “construire” des mini-claviers… » Alors, enrichissant les univers du métal et des peaux usuels dans les percussions classiques, Efji reçoit maracas et caxixis, binzasara et cencerros, gamelans et gongs, le carillon des angklungs et les peaux accordées tendues sur les tubes des boo-bams. Nul désir de référence ni d’acculturation, mais le défi instrumental qui devient défi poétique de faire dialoguer entre eux des mondes sonores qui d’ordinaire ne se rencontrent pas. Ajoutez à cela l’enjeu d’amplification acoustique, par l’exploration des micro-intervalles sur un second vibraphone en quarts de ton, par le déploiement qu’on croirait sans limites des résonances ; la métamorphose des couleurs dans le creuset de l’écriture par injection permanente d’énergie, comme la gouge du graveur sur la plaque est toujours tenue, qu’elle griffe à vives entailles ou creuse la chair de la courbe – et vous avez Efji, si différente et pourtant emblématique de la musique de Laurent Cuniot : la construction du discours, la tension des énergies, la sollicitation de l’écoute.
Et si Florent Jodelet nous invitait, au fil des sections de l’œuvre, là où nous n’allons jamais : au cœur de son ressenti d’interprète ?
« Même si la continuité est évidente, je vis cette pièce comme une succession de mouvements aux identités distinctes, dans lesquels je plonge et qui me mettent en jeu de façons diverses. Mon guide : animer et faire sonner le “petit” instrumentarium autour de moi ! Dans Arsis puis Énergie du silence et du bruit, je me fais animal sous une loupe sonore, dans un monde très fin, une poésie microscopique. Avec l’Asie imaginaire du Petit rituel en mouvement, il y a le grand plaisir instrumental de faire interagir des instruments aussi différents dans une relation assez jubilatoire, car pour moi ce rituel est joyeux ! Énergies instables c’est de l’électricité virtuelle avec le plus de volts possibles. C’est bref, très intense, cela doit aller très vite, il y a vraiment l’idée d’un orage électrique. Énoncé, aux vibraphones, m’offre le vertige du pianiste devant le clavier, le jeu de la résonance, les couleurs harmoniques. Je suis dans le son, dans l’écoute, dans l’attente de la vibration. Je dois continuer à mener le discours interne et, dans la minuscule perception du temps, me demander si c’est le moment exact, s’il ne faut pas encore attendre un petit peu que l’accord se prolonge… Accomplissement des tensions est une section fulgurante ! Tous les instruments sont convoqués, tout est très mobile, des formules, des variations reviennent, une grande arche d’énergie avec une suspension et un climax. Efji s’achève sur Thésis, comme le développement harmonique et mélodique d’Énoncé avec l’insertion d’un second rituel sur les petits gongs et les lames du gamelan, jusqu’à l’affinement final du son, et la vie qui anime son étirement après chaque impact. »
Effectif instrumental
1 percussionniste et 4 maracas – 4 caxixis – 2 bongos – 2 toms-boo-bams (1 octave) – 1 grosse caisse symphonique – 3 cenceros – 1 cymbale – 1 cymbale cloutée – 5 anklungs – 2 tambours de bois – 2 clappers – 2 woodblocks – 2 crashers – 3 volants metalliques – 1 vibraphone – 1 vibraphone accordé au ¼ de ton supérieur -tubes (1 neuvième) – gongs(1 octave) – gamelan (1 octave) – 1 binsasara
Durée
14 min
Création
07/10/2005
Festival Musica, Strasbourg
Florent Jodelet percussions
Commanditaire
Florent Jodelet
Contacts
Editions Billaudot
14 rue de l’Echiquier – 75010 Paris
Tel : +33 (0)1 45 23 22 54
www.billaudot.com